Kyle - The only sound is the battle cry.

Kyle a toujours été comme ça. Un gamin qui suivait son instinct, qui parcourait le quartier le nez au vent, qui se glissait dans les endroits les plus improbables, simplement pour voir ce qu’il y trouverait. Kyle, il a toujours préféré le grand air aux espaces trop clos de sa maison ou de son école. Kyle, il faisait déjà l’école buissonnière à huit ans, a fait sa première fugue à dix ans, en a enchainé des dizaines d’autres. Ses parents continuèrent à le punir à chaque fois, mais ils finirent par arrêter de s’inquiéter. Ils savaient que Kyle désertait la maison une nuit, parfois deux, quand ses petites jambes l’avaient porté trop loin du quartier. Mais ils savaient qu’il finissait toujours par revenir. Ils avaient out essayé. Les punitions, les cris, le chantage et les menaces. Mais rien ne fonctionnait jamais. Kyle trouvait toujours le moyen de s’éclipser, sans se faire remarquer.

C’est tout naturellement qu’à sa majorité, il déserta définitivement l’école et pris la route. Ce devait être pour un temps. Quelques mois, qu’il disait. Mais les mois passèrent, se transformant en années et, plus le temps passait, moins il se voyait faire ce que ses parents, ce que la société attendait de lui. Se poser, acheter un pavillon dans une banlieue paisible, se trouver une femme, faire des enfants, avoir un emploi. Kyle n’était pas fait pour cette vie-là. Kyle était fait pour tracer la route à bord de sa moto, une Harley Davidson achetée avec ses toutes dernières économies. Il était fait pour s’arrêter dans des patelins paumés que personne ne connaissait, pour trouver un job, comme ça, simplement en discutant avec les habitants. Il était fait pour ne jamais rester trop longtemps au même endroit. Il était fait pour regarder les lacs qui s’étendent, paisibles et mystérieux, un air songeur au visage, pour grimper en haut des montagnes et laisser son regard embrasser le paysage, pour dormir dans les hôtels miteux des quartiers populaires des grandes villes, pour serrer des mains et distribuer des sourires, pour offrir de l’aide et en recevoir, pour partager de l’humanité encore et encore.

Kyle parcouru ainsi les deux Amériques, durant dix ans. Il rencontra, au fil de ses voyages, une femme. Leez Hudson. Leez était comme lui, un électron libre, poussée par le vent. Il devait simplement l’amener dans à Savannah. Mais, au moment de repartir, elle était là, à l’attendre. Elle aussi, voulait cette vie de liberté. Ils ne se quittèrent plus, traversant ensemble les Etats, profitant ensemble de leur bonheur si simple et si parfait.

Comme tout le monde, ils n’entendirent pas parler des premiers cas. Ni des suivants. Comme tout le monde, lorsque le gouvernement se résigna à alerter la population sur la menace qui les guettait, il était déjà trop tard. Trop tard pour se battre. Trop tard pour fuir. Le virus avait déjà pris une ampleur telle que même l’armée ne parvenait pas à venir à bout de ceux qu’ils appelaient « Les Grunters ». Ces êtres humains, contaminés par cette maladie qui leur enlevait toute humanité, les réduisant à l’état de bêtes, incapable de communiquer, et dont le seul but était de se nourrir de sang humain. Du moins, c’est ce que tout le monde croyait. Jusqu’à ce que la vérité s’impose. Les Grunters n’étaient pas des animaux stupides. Ils avaient gardé une intelligence presque humaine et étaient en réalité en train de s’organiser, non pas pour tuer le plus d’humains possibles, mais pour transmettre le virus au maximum, étendant leur race infecte au-delà des frontières des Etats Unis, prenant, peu à peu, possession du monde.

Kyle ne prit pas la menace au sérieux, dans un premier temps. Il n’était pas de nature à s’inquiéter. Kyle, il avait appris que flipper ne servait à rien. En revanche, s’armer d’un fusil à pompe, ça pouvait servir à quelque chose. Avec Leez, ils continuèrent durant quelques mois leur voyage, sans réel but, échappant de justesse à la mort si souvent qu’ils étaient persuadés qu’une bonne étoile veillait sur eux. Jusqu’à ce que la réalité s’impose. Seuls, ils seraient bientôt morts. Ils avaient entendu parler de Clan, de groupes de survivants qui se regroupaient pour tenter de résister. Il n’y en avait presque plus, mais Kyle et Leez finirent par en trouver un, installé dans un vieil immeuble, à Philadelphie. Ils se joignirent au Clan, œuvrant en tant que soldats.

Mais leur bonne étoile semblait s’être éteinte. Leez se fit mordre, durant une mission de ravitaillement qu’ils menaient ensemble. Kyle revint seul, ce soir-là. A tout le monde, il dit qu’elle était morte. A tout le monde, il assura qu’il avait été contraint de lui mettre une balle dans la tête, pour ne pas avoir à la regarder se transformer en monstre.

Mais la vérité, c’est qu’il n’avait pas pu. La vérité, c’est qu’il avait pointé son arme sur elle, qu’elle l’avait regardé droit dans les yeux, le visage déformé par la douleur et la terreur, qu’elle lui avait dit : « Tire. Vas-y Kyle. Fais-le. ». La vérité, c’est qu’il avait baissé son arme, le visage baigné par les larmes. La vérité, c’est qu’il l’avait portée jusqu’à la cave de cette maison, assez loin du quartier général pour que personne ne remarque rien, suffisamment près pour qu’il puisse y venir discrètement. La mort dans l’âme, il l’avait attachée, enchainée au mur. Et il l’avait regardé se transformer. Il avait vu ses cheveux tomber, sa peau se durcir, ses muscles gonfler. Il avait vu ses yeux s’injecter de sang, ses dents s’allonger pour devenir des crocs, ses ongles se transformer en griffes. Il l’avait entendue grogner, hurler de douleur, de faim, de haine. Il l’avait vu déchirer ses vêtements et tenter de lui sauter à la gorge. Mais il n’avait toujours pas pu. Alors, il l’avait laissée là et il était rentré, seul, sans savoir que son secret, bien trop lourd à porter, allait le changer à jamais.