(F) Adelaide Kane | Nia

∴ Jusqu'à ses 24 ans, la vie de Nia fut semblable à celle de nombre des autres personnes qu'elle côtoyait.
∴ Née à Pandora d'une mère inconnue, elle grandit avec d'autres enfants nés en même-temps qu'elle au collectif et eut une enfance tout ce qu'il y a de plus normale : sa petite chambre à elle, des adultes par-ci et quelques échanges éparses avec les autres enfants et beaucoup, beaucoup de lecture...rien de bien exaltant !

∴ A 18 ans, elle quitta le collectif pour intégrer son premier appartement seule, comme l'avaient déjà fait de nombreuses personnes avant elle. Seule, il fut temps pour elle de se trouver un emploi. Passionnée d'histoire, elle trouva bien vite un poste à Logom, la principale société s'occupant de la publication d'ouvrages d'histoire. Il ne lui fallut pas bien longtemps pour prendre le plis de cette nouvelle vie, qui serait désormais la sienne, une vie dépourvue d'exaltation et de variété.
∴ Mais plus le temps passait, plus elle avait l'impression d'être incomplète, un peu comme si une partie de quelque chose lui avait été enlevée. Mais voyant qu'aucun de ses collègues ne semblait partager ses étranges questionnements, elle les abandonna, poursuivant son train-train quotient en tentant de composer avec cette étrange sensation de manque.

∴ Et puis un soir, alors qu'elle était assoupie depuis un certain temps, une chose pour le moins étrange se produisit : son sommeil s'anima. Il s'emplit de moments de sa journée, de visages qu'elle avait vu et même de choses qu'elle n'avait pas faites et qu'elle aurait bien aimé faire. A son réveil, bien qu'un peu perplexe, elle fut surtout étrangement satisfaite : cet étrange phénomène lui avait apporté l'étrange sensation d'être enfin complète.
∴ Ne sachant pas vraiment ce que c'était, elle garda pour elle cette expérience et poursuivit sa journée comme si de rien n'était. Le soir et tous les soirs suivants, ses nuits s'animèrent de la même façon, et ses réveils s'emplirent de quelque chose de nouveau, de déroutant, mais de sacrément satisfaisant : des émotions. Elle était soit heureuse de ce qu'elle avait vue, ou angoissée de voir certaines choses, impatiente d'en voir davantage et angoissée à l'idée que quelqu'un découvre ce qui se passait dans son esprit...le doute n'était plus permis : elle avait la maladie. Inutile pour elle de se rendre chez le médecin. Elle savait pertinemment ce qu'elle avait, et aller chez le médecin voulait dire se faire dépister et être fiché comme malade, et ça, il n'en était pas question.

∴ Au fil des jours et des expériences, ses émotions se démultiplièrent mettant de plus en plus à mal, ses capacités à se contenir. Elle passa bien sûr par les premières étapes de la maladie, ce qui ne fut bien sûr, pas facile à vivre, mais elle préférait cela à la perspective de finir au CALME.
∴ La première année ne fut pas facile pour elle. Ce fut même une véritable torture. Tourmentée par toutes ces nouvelles émotions, elle était un peu submergée. Tout s'agitait en elle : la lumière lui paraissait plus vive, les regards des gens posés sur elle, lui donnait le sentiment qu'ils savaient ce qu'elle cachait, et ses contrariétés se faisaient de plus en plus nombreuses. Elle ne supportait pas cette atroce distance qu'avaient ses pairs par rapport aux choses les plus affreuses qui leur arrivait parfois de vivre. Les suicides de plus en plus nombreux ne semblaient émouvoir personne, alors qu'elle avait l'impression que ses entrailles se tordaient de douleurs à chaque fois qu'elle voyait un corps être évacué. Non, leur monde n'était pas parfait. Il était même loin de l'être. C'était eux les malades, pas elle. Comment pouvaient-ils tous continuer à vivre comme ça ? Cela lui semblait à présent impossible. Et pourtant. Pourtant, si elle voulait continuer à vivre et s'éviter un voyage sans retour au CALME, elle devait jouer le jeu. Elle devait apprendre à ses yeux à ne pas s'emplir de larmes quand une nouvelle personne mettait fin à ses jours, ou quand des Feelers pris en flagrant délit de couplage, étaient emmenés en pleine nuit au CALME, elle devait apprendre à ses joues à ne pas rougir à chaque fois qu'une regard insistant se posait sur elle, elle devait apprendre à ses dents à ne pas mordiller ses lèvres quand elle réfléchissait ou quand elle était perplexe...Elle devait désapprendre toutes ces nouvelles manies qui s'étaient installées dans sa vie avec l'apparition de la maladie.

∴ Voilà trois ans maintenant, trois longues années durant lesquelles elle apprit à se contenir et à faire bonne figure en public, attendant désespérément qu'un remède soit trouvé à cette maladie, trois années de solitude, sans pouvoir partager les tracas que sa situation lui donnait et les nombreuses questions qu'elle avait, trois années à crever d'envie de parler à d'autres personnes, de se lier à d'autres, sans en avoir le droit, trois atrocement longues années, passées à se demander si, dans le fond, elle le voulait vraiment se remède...

∴ Mais depuis quelques temps, ce gars à son travail, Silas, attire son attention...Il la regarde. Souvent. Avec beaucoup d'insistance. Beaucoup de personne le font en général...il n'y a pas de honte ou de gène chez nous, alors il n'y a rien de mal à fixer les gens. Mais il y a quelque chose d'étrange dans son regard : il lui donne la terrifiante impression de lire en elle et ça, ça ne lui plait pas du tout !!!