The start of a new life ? | Minah

« Aujourd'hui serait sans doute encore un jour sans. Depuis qu'il avait perdu son épouse, Kenneth n'était plus que l'ombre de lui-même et il n'arrivait à rien du tout en matière de travail. Il avait pourtant essayé de se remettre à l'écriture, mais il se retrouvait toujours devant cette foutue page blanche qui lui pourrissait la vie. Voilà pourquoi il avait décidé de changer de vie, d'environnement en s'installant à Southampton. Il espérait pouvoir retrouver l'inspiration et pouvoir commencer à vraiment faire son deuil. Car autant être réaliste...il ne l'avait toujours pas vraiment fait. En même temps, Cassidy et lui s'étaient connus pendant de nombreuses années, ils avaient plein de projets d'avenir et elle était même tombée enceinte. Avant que ce foutu accident ne survienne. Elle était morte et leur bébé avec elle. Kenneth s'en était toujours voulu et il s'en voulait encore alors qu'il n'y était pour rien. Mais il avait été au volant, alors il se considérait comme responsable. Et cette culpabilité était vraiment très difficile à porter. Il avait espéré pouvoir se remettre à écrire pour penser à autre chose, pour s'évader, se vider l'esprit...il s'était bien trompé. La vie pouvait vraiment être cruelle...Il avait tout pour être heureux et on lui avait arraché ce bonheur. Il avait clairement failli sombrer dans la dépression, mais une petite voix l'en avait empêché. Peut-être la voix de Cassidy...car au fond de lui il savait qu'elle n'aurait pas voulu le voir comme ça. Elle aurait voulu qu'il continue à écrire et qu'il reprenne goût à la vie. Hélas, ce n'était pas aussi facile. Loin de là.

Le voilà donc fraîchement installé à Southampton, travaillant à présent avec une nouvelle maison d'édition locale. Seulement voilà, il n'avait pas réussi à écrire une seule ligne depuis qu'il était là. Et apparemment, sa nouvelle correctrice allait arriver aujourd'hui. La pauvre n'aurait pas de boulot. De toute façon, il n'y pensait pas plus que ça. Et il était loin de se douter qu'il allait bientôt se retrouver en face d'un fantôme. Il s'était installé à son bureau en fin de matinée, n'ayant pas vu l'intérêt de commencer plus tôt puisque, de toute façon, il ne serait pas productif. Il commença par se prendre un café avant de s'installer, fixant un instant son écran d'un air absent. Kenneth Bradford était d'une humeur de chien au matin et n'était pas très bavard en général. Encore heureux qu'il soit tout seul pour le moment. Comme ça avait bien changé. Avant, il était sociable, souriant...à présent, il semblait faire la tronche en permanence et parlait à peine aux gens. Au fond, lui-même se sentait énervé par son propre comportement, mais il ne pouvait tout simplement pas faire semblant que tout allait bien. Il fut tiré de ses pensées par la sonnette signifiant sans doute l'arrivée de la nouvelle correctrice et Kenneth se leva donc en laissant échapper une sorte de grognement. Il s'en fichait bien. Ou du moins était-ce qu'il pensait avant de poser ses yeux sur la jeune femme en question.

Il se figea lorsqu'il ouvrit la porte et qu'il posa son regard sur la jeune femme. Il la regardait d'un air totalement choqué, incapable d'esquisser le moindre mouvement ou de prononcer le moindre mot. Ce n'était pas possible...Il était en train de regarder Cassidy dans les yeux. Cassidy se trouvait juste devant lui. Non...elle était morte. Il l'avait vue mourir dans ses bras...Mais cette jeune femme lui ressemblait pourtant trait pour trait. A l'exception de sa couleur de cheveux et d'yeux. Et elle semblait un peu plus grande. Kenneth secoua la tête et ferma les yeux avant de les rouvrir. Elle était toujours là. Comme en transe, il s'éloigna de la porte et regagna son bureau qui se situait dans la pièce d'à côté. Il y attrapa le cv de la jeune femme qu'il avait déposé là il ne savait plus trop quand. Minah Pike. Ce nom ne lui disait rien du tout. Est-ce que Cassidy avait un sosie très ressemblant ? Ou une jumelle cachée ? L'imagination de Kenneth partit dans tous les sens. Et surtout, regarder cette jeune femme était extrêmement douloureux. Pourtant, il tenta de se reprendre tant bien que mal. "Minah, c'est ça ?" Comme s'il voulait confirmer que ce n'était pas Cassidy, que c'était bien une autre personne. Bon sang... Comment allait-il pouvoir travailler avec elle tous les jours ? Le reflet de sa défunte épouse ? "Vous pouvez rentrer chez vous. Je n'ai rien écrit, de toute manière." Intérieurement, il se maudissait d'être aussi peu aimable, mais c'était plus fort que lui. Et puis, moins il voyait cette femme, mieux il se porterait. C'était tout simplement trop douloureux...

- Minah, toujours pas de nouvelles de Bradford ?
Passant dans un couloir de la maison d'édition dans laquelle elle travaillait, Minah fut interpelée par Mr Liberton, son patron, qui commençait un peu à s'impatienter. Assistante d'édition depuis peu, Minah se faisait encore les griffes. Elle n'était jusqu'alors, qu'une simple correctrice et n'avait été promue que depuis quelques mois, promotion qui lui faisait chaud au coeur, mais qui la stressait relativement, surtout à la perspective de son premier client. Elle cru au départ à un bizutage en apprenant le nom de son premier écrivain : Kenneth Bradford. Cet auteur, elle l'avait dans la peau. Elle avait dévoré son premier ouvrage d'une traite et le relisait très souvent, tombant toujours un peu plus amoureuse du style et de le finesse de cet auteur au fil de ses lectures et déplorant qu'il n'en ait fait qu'un seul. Alors, en apprenant qu'il venait de signer avec sa maison d'édition, elle ne pu que se réjouir : s'il rejoignait leur maison, c'était qu'il avait un nouveau roman en préparation.

Pourquoi donc cru-t-elle à un bizutage me demanderez-vous ? Travailler avec l'auteur de ses rêves pour un premier contrat aurait dû être un rêve pour elle et c'était le cas. Mais, bien que grande fan de l'auteur, elle savait que la vie de l'homme avait été quelque peu difficile ces derniers temps et la rumeur courrait dans le milieu qu'il n'avait pas écrit une seule ligne depuis la mort de sa femme. Qui pouvait l'en blâmer : perdre la personne la plus importante de sa vie...il y avait de quoi perdre toute inspiration. Elle n'osait imaginer la souffrance qui devait l'habiter depuis ce drame. Ce n'était pas surprenant qu'il n'y ait de place pour rien d'autre dans son esprit.

Mais sa terrible situation n'était pas faite pour l'aider elle professionnellement. Elle avait la lourde tâche de réussir à le débloquer, pour que son prochain roman supplante le premier publié par une autre maison d'édition, ce qui ne serait pas une tâche aisée, surtout pour une novice comme elle. Tout le monde lui disait que Liberton avait dû la choisir parce qu'il croyait en elle et qu'elle était sans doute à ses yeux, la seule capable de faire sortir quelque chose de Kenneth, mais elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle n'en était sans doute pas capable.

Cela faisait quelques jours déjà qu'elle attendait de ses nouvelles en vain. Elle lui avait donné rendez-vous dans les bureaux la semaine précédente et tous les jours depuis, mais il ne s'était jamais présenté. Il ne répondait même pas à ses mails ou à ses coups de fils : elle était dans une impasse...génial.
- Heu...non Mr Liberton. Toujours rien. Il ne répond pas à mes messages... elle répondit alors en entrant dans le bureau de l'homme grisonnant, passant sa main dans ses cheveux un peu embarrassée et le regard bas. Il avait confiance en lui et elle n'était même pas capable de rencontrer en contact avec leur nouvel auteur...bravo.
- Je vois. Allez chez lui directement ! lui intima son patron, l'incitant à relever les yeux.
- Je vous demande pardon ? elle s'empressa de demander, en tentant de contenir l'angoisse qui commençait à s'emparer d'elle.
- S'il ne vient pas à vous, allez à lui directement il poursuivit, sans pour autant lever les yeux vers elle, tout à son travail.
- Mr Liberton, écoutez...je ne suis pas sûre d'être..
- Je vous arrête tout de suite Minah. C'est vous que j'ai choisis pour travailler avec Kenneth Bradford, vous et pas une autre. Vous en êtes largement capable ! il l'interrompit en prenant le soin de lever le nez vers elle, avant de lui donner ses dernières recommandations. Selon lui, son côté pétillante, douce et persévérante, parviendrait à venir à bout des réticences de l'auteur...s'il le disait.

Quelques minutes plus tard, elle sonnait à la porte de l'auteur, la gorge nouée. Un bonnet blanc sur la tête et une écharpe de laine de la même couleur que ses yeux, nouée autour du coup, elle patientait donc les mains accrochées à ses dossiers. Quand la porte s'ouvrit, elle dû faire un effort presque surhumain, pour empêcher la fan cachée en elle de s'exprimer. Elle était là, debout face à Kenneth Bradford...hallucinant. Elle remarqua cependant bien vite qu'il avait l'air morose. Il n'avait plus rien de l'homme qu'elle avait pu voir dans de nombreuses interviews ce qui lui serra le coeur. Une barbe certaine avait poussée sur son visage et son regard semblait éteint. Mais la morosité laissa vite place à une autre émotion : la stupeur. Il avait le même air que sa grand-mère quand elle croyait voir des fantômes dans la maison. Que lui arrivait-il donc ? Elle n'eut guère le temps de s'en inquiéter plus longtemps, car il tourna les talons et s'enfonça dans la maison sans dire un mot. Perplexe, elle resta là quelques secondes à se demander ce qu'elle devait faire, avait de se résoudre à le suivre. Il ne l'y avait pas invité, mais elle n'était pas venue jusqu'ici pour rien.

Minah, c'est ça ? il lui demanda, un papier à la main.  C'est ça Minah Pike. Elle lui dit en souriant, avant de s'avancer un peu plus dans la pièce, la main tendue dans sa direction Ravie de vous... elle poursuivit, rapidement interrompue par l'auteur, toujours si peu avenant qui la stoppa brutalement dans sa progression. Vous pouvez rentrer chez vous. Je n'ai rien écrit, de toute manière. Ca c'était toute une entrée en matière. Plus glacial, tu meurs. Largement refroidie, elle passa une nouvelle fois sa main dans ses cheveux en cherchant un moyen de se sortir de cette situation délicate. Deux options s'offraient alors à elle : céder à Kenneth et rebrousser chemin, et risquer de décevoir Liberton, ou insister un peu...Elle n'était plus à ça près après tout. Je vois...heureusement que je suis là alors...C'est mon travail de vous aider à écrire après tout ! elle lui dit alors, un peu hésitante, mais sans se défaire de son sourire avenant qui ne la quittait que très rarement. Je suis ravie de vous rencontrer et de pouvoir travailler avec vous...je suis une grande fan de votre travail ! elle ponctua sa phrase d'un petit rire nerveux en remarquant que la fan était parvenue à faire une petite percée, avant de rester là à le regarder, mi angoissée, mi incrédule à l'idée de se tenir là, chez lui, dans son bureau.

« Il était sous le choc. Il avait véritablement l’impression d’avoir vu un fantôme. Comment était-ce possible ? Le Destin avait-il décidé de lui jouer un mauvais tour ? Car ce n’était assurément pas drôle du tout. Pourtant, malgré la ressemblance flagrante avec Cassidy, Kenneth savait que ce n’était pas elle et puis, cette fille n’avait l’air au courant de rien. Elle semblait tout à fait innocente et ignorante quant à l’épouse du jeune homme. Ce dernier ne savait pas comment réagir, il était perdu, désarçonné. Alors, il avait tenté d’enfuir ses émotions du moment tout au fond de son être pour faire face à la situation de la meilleure façon possible. Et il n’avait rien trouvé de mieux que de s’adresser de façon extrêmement froide à la jeune femme. Il n’avait pas besoin d’elle ni de qui que ce soit d’autre dans sa vie. Il n’avait pas besoin d’aide. C’était du moins ce qu’il s’évertuait à répéter, espérant sans doute que ce soit vrai un jour. Car en réalité, il avait évidemment besoin d’aide, si ce n’était que pour réussir à écrire à nouveau et pour reprendre sa vie en main. Cette vie qui s’était effondrée du jour au lendemain…ce bonheur éphémère qui avait laissé place au désarroi le plus profond. Il savait pertinemment que Cassidy ne serait pas du tout heureuse de le voir comme ça, mais il n’y pouvait rien. Reprendre sa vie comme si de rien n’était était au-dessus de ses forces, il ne s’en sentait absolument pas capable. Il ignorait d’ailleurs s’il en serait capable un jour…Certes, il avait perdu son épouse il n’y a pas si longtemps et il lui faudrait du temps – beaucoup de temps – pour vraiment s’en remettre et faire son deuil…mais pour l’heure, ça semblait mission impossible.

Il avait bêtement espéré dissuader cette fille en employant ce ton sauf aimable avec elle et en lui disant qu’il n’avait rien écrit, mais ce fut tout le contraire. Elle semblait insister, elle semblait presque sûre de pouvoir l’aider. C’était une blague…une mauvaise blague du sort… Kenneth poussa un soupir et se passa une main sur le visage, visiblement agacé et pas du tout enclin à poursuivre cette conversation. Si on pouvait vraiment qualifier cet échange de conversation. Néanmoins, la suite le désespéra d’autant plus. Une fan…il ne manquait plus que ça. Bien sûr, Kenneth appréciait ses fans, il leur en était reconnaissant pour leur soutien car sans ce soutien, il n’aurait jamais eu de succès. Mais avoir une fan chez lui, clamant de vouloir l’aider à retrouver son inspiration…c’était trop. « Ecoutez. Je n’ai pas besoin d’aide. Et je n’ai certainement pas besoin d’une groupie qui s’empressera sans doute de crier haut et fort sur les réseaux sociaux qu’elle a rencontré son idole. » Oui, il était dur. Exécrable, même. Ce n’était pas lui. Et pourtant, les mots avaient franchi ses lèvres. Peut-être allait-il blesser cette fille, peut-être pas. Peu importe. Du moment qu’elle s’en allait. « Et ensuite, vous direz à tout le monde à quel point vous êtes déçue par cette rencontre et vous me qualifierez de crétin exécrable. » Crétin exécrable, hein ? Oui, c’était bel et bien ce qu’il était à cet instant. C’était aussi ce qu’il pensait de lui-même.

« J’appellerai la maison d’édition pour leur dire que je n’ai pas besoin de vous. C’était une erreur. Navré que vous ayez fait le déplacement pour rien. » Il n’avait manifestement plus envie de discuter. Sans plus prêter la moindre attention à la jeune femme, il quitta son bureau pour se rendre à la cuisine, histoire de se préparer un nouveau café. Il en avait bien besoin. Il espérait que la dénommée Minah aurait compris le message et qu’elle s’en irait d’elle-même. Il n’avait vraiment pas besoin de quelqu’un dans ses pattes et surtout pas quelqu’un qui s’accrochait et qui le collerait tous les jours. Il se mit à fixer la cafetière après l’avoir mise en route, se perdant un instant dans sa contemplation et surtout dans ses pensées. Il avait naïvement cru que déménager et partir dans une autre ville pour changer d’air l’aiderait. Mais ce n’était pas du tout le cas. Il voyait toujours Cassidy partout. A chaque fois, il se demandait si elle aurait aimé la maison, si elle aurait aimé l’aménager d’une autre façon…Non pas que Kenneth ait fait de gros efforts en la matière. La plupart de ses affaires étaient encore dans leur carton. Parfois, il se disait qu’il aurait dû tout jeter car certaines de ces affaires avaient un lien direct avec Cassidy. Certaines choses lui rappelaient sa défunte épouse. C’était sans doute pour ça qu’il ne pouvait se résoudre à tout déballer. Le voilà qui recommençait à sombrer dans ses souvenirs. Il se versa son café de façon presque machinale avant de se retourner pour faire face à la porte. Il vit une silhouette dans le couloir, un fantôme du passé. Ce passé dont il n’arrivait pas à se défaire. Il en avait oublié la présence de ce sosie et crut voir Cassidy l’espace d’un instant. Et cet instant suffit pour lui faire lâcher sa tasse qui tomba au sol et se brisa en morceaux, déversant son contenu sur le carrelage. « Merde ! » Qu’est-ce qu’il foutait, bordel ? Qu’est-ce qu’il foutait ? Il ne ressemblait sans doute plus à grand-chose avec son air de cadavre ambulant, cette barbe dont il ne s’était pas occupé depuis il ne savait combien de temps, son regard totalement éteint et ses vêtements pas repassés. Sans parler de l’absence totale de sourire sur son visage. C’était peut-être lui, le fantôme, en fin de compte…

Il fallait que ça marche. Il le fallait pour elle, pour sa carrière et pour son estime personnelle. Ce boulot, elle l'avait dans le sang, c'était presque écrit dans son code génétique. Passionnée de livres et de lecture depuis son plus jeune âge, elle ne se vit jamais évoluer dans un autre univers que celui-là. Durant son adolescence, elle remporta tous les concours d'écriture auxquels ses enseignants la forcèrent à participer...oui ils l'y forçaient, proposant eux mêmes, ses dissertations et autres travaux à ces différents concours, car d'elle-même, elle n'aurait jamais eut l'idée, l'envie ou la force de s'y inscrire. Écrire était pourtant une véritable passion pour elle, un exutoire sans nom, mais être lue l'angoissait profondément, et l'alliance de ses enseignants et de sa famille était tout juste suffisante pour l'apaiser et calmer ses nombreuses angoisses et plus nombreux encore doutes.
Alors ce fut tout naturellement qu'elle se lança dans cette voie, persuadée d'y avoir une carte à jouer depuis sa petite place. Hors de question de se faire lire depuis la fin du lycée : elle préfèrait largement aider les auteurs, lire ou corriger des ouvrages. C'est là qu'était sa place, elle le savait bien, là et nulle part ailleurs.

Alors oui, il fallait que ça marche. Elle ne pouvait pas décevoir Mr Liberton. Il voulait lui donner une chance d'évoluer, de se faire les griffes et d'acquérir un peu plus d'expérience, et elle ne voulait pas laisser cette chance lui filer entre les pattes...mais elle aurait malgré tout préféré commencer avec un auteur un peu plus...un peu moins...un peu plus conciliant (ou sympathique). Il faisait un blocage, elle le savait bien, et elle était tout à fait disposée à se plier à son rythme et à ses exigences, mais le manque de respect, elle avait un peu de mal à l'encaisser.

Minah, était douce, gentille, agréable et ultra ultra ultra respectueuse. Elle ne jurait pas, ne critiquait pas, ne partageait pas de ragots inutiles et elle avait un peu naïvement tendance à espérer les mêmes égards de ses pairs. Son auteur préféré n'avait de toute évidence, pas la moindre intention de lui montrer le minimum syndical de respect, ce qui lui fit perdre un peu son sourire.

- Ecoutez. Je n’ai pas besoin d’aide. Et je n’ai certainement pas besoin d’une groupie qui s’empressera sans doute de crier haut et fort sur les réseaux sociaux qu’elle a rencontré son idole. Qu'il refuse son aide, elle s'y attendait...sa récente réputation l'avait précédée et le contraire l'aurait fortement étonné, mais qu'il l'insulte de cette façon, non elle ne s'y attendait pas le moins du monde. "Groupie" était loin d'être l'adjectif dont elle rêvait d'être qualifiée. Elle appréciait son travail et ce qu'il représentait, certes, mais elle était loin, très loin d'être une groupie et la connotation qui collait à ce mot, lui permit de se faire une idée très précise de la façon dont il la voyait et ce, en dépit des quelques minuscules minutes qu'il avait eut pour apprendre à la connaitre.
- Et ensuite, vous direz à tout le monde à quel point vous êtes déçue par cette rencontre et vous me qualifierez de crétin exécrable.

- Et j'aurais je pense, tout à fait de quoi... Ces quelques mots lui échappèrent, piquée dans son orgueil. Oui, Minah, c'était la gentillesse incarnée, mais elle n'était pas idiote pour autant et elle n'aimait pas vraiment être traitée avec si peu d'égard. Cependant, elle ne voulait pas envenimer la situation. Elle prit donc une profonde inspiration et reprit la parole beaucoup plus calmement en croisant ses bras sur sa poitrine

- J'ai dis que j'étais fan de votre travail, pas de vous. Vous êtes très objectivement, très loin d'être mon idole et j'ai largement passé l'age d'être une groupie. Je suis là pour des raisons professionnelles, pas pour une quelconque fascination pour vous...vous vous surestimez peut-être un peu... elle répondit calmement histoire de remettre les choses à leurs places. Elle l'appréciait (avant de le rencontrer), certes, mais elle était surtout là pour sa carrière, pour ça et pour rien d'autre. Elle avait eut une belle opportunité de rencontrer un auteur talentueux, mais elle aurait eut autant de joie à travailler avec un auteur inconnu comme elle l'avait déjà fait. Tant qu'elle pouvait travailler !

- J’appellerai la maison d’édition pour leur dire que je n’ai pas besoin de vous. C’était une erreur. Navré que vous ayez fait le déplacement pour rien.
- Pas autant que moi. elle répondit en hissant son sac sur son épaule, avant de le voir tourner une fois de plus les talons, la laissant seule dans son bureau. Celle-là c'était la meilleure. Non content d'être désagréable au possible, il était en plus mal élevé...il avait de plus en plus tout de l'homme parfait.
Elle faisait quelques pas vers la sortie du bureau, quand son portable sonna. En voyant le nom de Mr Liberton sur son écran, elle déglutit avec peine, hésitant à répondre. Face à son échec à venir, elle préféra opter pour l'option la plus lâche et ne pas décrocher pour le moment...il était inutile de donner un grand coup de canif dans sa carrière tout de suite...Elle pouvait encore attendre un peu pour cela.

Elle fouillait dans son sac à la recherche de ces clés, quand un bruit de verre brisé se fit entendre, la faisant sursauter. Elle leva donc rapidement la tête et se trouva face à Bradford qui la regardait encore avec le même air qu'à la porte. Qu'avait-il encore ?
- Merde ! il pesta rapidement...C'était de mieux en mieux. Elle était tout à fait disposée à le laisser se débrouiller avec le bazar qu'il venait de mettre, avant de remarquer qu'il était pieds nu. Il était pieds nus, entouré de liquide et d'éclats de tasse, et elle, elle avait des chaussures...exaspérée par avance par sa gentillesse, elle poussa un nouveau soupire, avant de s'avancer lentement vers lui Ne bougez pas, je m'en occupe. elle lui dit calmement. Sans lui laisser le temps de protester, elle passa avec précaution à côté de lui et se dirigea vers la cuisine, où elle laissa son sac sur le plan de travail. Ne connaissant pas les lieux, elle attrapa ce qu'elle pu pour régler cette situation : éponge, torchon qui trainait là et papier essuie tout. Elle ne voulu pas prendre le risque de s'aventurer dans les environs à la recherche d'un balais, de peur de se faire encore engueuler. Son butin amasser, elle retourna vers Bradford, s'accroupit à côté de lui et commença à éponger la zone avec précaution, le tout sans un mot.

Elle rassembla les éclats contre le mur et tenta d'éponger au maximum le liquide brun, mais malgré sa précaution, se coupa légèrement l'index. Aie ! C'est pas vrai ! elle couina discrètement, avant d'envelopper rapidement son doigt dans du papier. Elle s'occuperait de cela plus tard, une fois qu'elle serait partit de ce lieu où elle n'était clairement pas la bienvenue. Les dégâts limités au maximum, elle laissa le tout dans un coin, avant de se redresser enfin.
- Voilà, c'est bon normalement, mais je vous conseille quand même de porter des chaussures par ici par précaution....

Dans ce couloir, les mains collantes de café, elle posa une nouvelle fois les yeux sur l'homme et se dit que c'était sa dernière chance d'essayer de le convaincre de la laisser travailler avec lui. Elle prit donc une nouvelle inspiration, et reprit la parole
- Écoutez, je n'ai que faire de votre "célébrité" et j'ai bien mieux à faire que de parler de vous sur les réseaux sociaux...pour moi, vous êtes un auteur de talent, que j'aimerais aider si je le peux, à se remettre en scelle pour livrer ce qu'il a encore à offrir, rien de plus Elle marqua une petite pause, avant de rajouter Je ne suis pas là pour vous juger, ni même pour vous apprécier, et je n'ai pas besoin que vous m'appréciez...bien que cela rendrait quand même une éventuelle collaboration, bien plus facile et agréable ...je suis là pour vous aider et pour ça seulement. Et vous avez tout à fait le droit d'appeler la maison d'édition pour leur dire que vous ne voulez pas travailler avec moi, mais vous savez très bien qu'ils insisteront et que si ce n'est pas moi, ça sera quelqu'un d'autre...vous êtes sous contrat, et ils n'ont pas l'intention de vous laisser tranquille. C'était là la stricte vérité. Liberton avait fait le choix d'envoyer d'abord le gentil flic, mais il avait sous le coude un bon nombre de méchants flics bien moins agréables qu'elle. Et sachez que je suis sans doute la moins contraignante de la maison... Elle était totalement sincère sur ce coup là. Elle avait déjà vu certains de ses collègues au travail et n'appréciait pas vraiment leurs méthodes...Ce fut avec les mots C'est à vous de voir... qu'elle conclue son petit argumentaire de la dernière chance.